L'art au service du témoignage ?

 

Il y a mille questions et mille réponses pour parler de l'apport unique de l'art aux hommes. Au fond, si l'on parle de témoignage, il faut savoir que tout témoigne… la création de Dieu, comme le dit Paul dans l'épître aux romains, mais les hommes, bien sûr aussi. Chaque production humaine, chaque mot, geste ou regard "dit" quelque chose de ce qu'est celui qui est à l'origine de cette production. Nous sommes communicants jusqu'au bout des cheveux. Nos joies et nos désespoirs se projettent dans le monde avec plus ou moins de conséquences (souvent plus d'ailleurs que nous ne le croyons). Du coup, l'artiste, avec son "style", sa façon de créer, dit toujours quelque chose de lui et quelque chose du monde qui l'entoure. Un artiste chrétien qui vit sa foi en profondeur témoignera d'elle dans son art, même involontairement. Parlera-t-on alors d'art chrétien ?

Il me semble que l'art, que l'on pourrait appeler "art chrétien" est un art lié à la liturgie ou du moins à tout ce qui concerne le vécu de la foi. Plus que témoigner, il représente ("rend présent") le message de foi. Il échappe à son créateur parce qu'il appartient- presque dès l'origine- à tous les fidèles. Il est à l'image de ce que nous sommes dans notre "piété".

L'art chrétien, ainsi défini a toujours sa place et sa fonction. Pourtant, pour bien des raisons l'art qui était à certaines époques le lieu et le cadre même du culte, qui disait la foi, soutenait le quotidien des fidèles, l'art est souvent de nos jours aux portes des églises… de certaines églises. L'art fait-il partie des nécessités où se conçoit-il comme un luxe ? Est-ce seulement une question de moyens ou une question de culture ?

Mais, sortons de l'église. Il y a de toute façon un chemin à faire pour recevoir cette richesse de l'être, miroir de la richesse de Dieu. Il y a un chemin pour accepter que l'art nous "découvre" parfois, nous bouleverse d'autres fois, ou encore nous émerveille.

 

L'art au service du témoignage ? Mais d'abord, d'où vient-il, d'où sort-il ?

La création artistique est-elle une sorte de "sécrétion" de l'esprit humain, née d'une alchimie mystérieuse de la personne ? Dans ce cas, l'artiste serait alors amené à "se dire", à témoigner de lui-même d'une façon décalée par rapport aux strictes nécessités de la productivité ? Son esthétique renverrait à des douceurs ou des beautés enfouies au fond de l'être.

Mais nous sentons bien que l'art n'est pas le produit unilatéral d'un artiste. L'art est dialogue. Il l'est déjà dans l'esprit et le cœur du créateur, dans ce rapport entre le JE, dans sa solitude, et le NOUS qui l'unit à d'autres. En tant que créateur je me refuse à l'isolement, à la fermeture, à "l'étanchéité", je suis donc uni à d'autres par d'innombrables liens. Ce que je vais dire par mon geste artistique sera donc le produit de ce dialogue entre moi-le-solitaire et moi-parmi-d'autres. Je ne témoignerai pas de "moi" seulement, mais de "moi qui se pense NOUS".

Mais le dialogue ne s'arrête pas à cette recherche intérieure, il est aussi bien concret dans le résultat de ma création. Je propose mon art, je le donne à voir, à toucher, à entendre etc. Va t'on accueillir cette proposition ? Que va-t-on en faire ? Quelles seront les réactions ? Dialogues multiples avec les destinataires de la création artistique.

L'art peut-il être au service du témoignage ? Ne risque-t-on pas de "purger" l'art en l'enrégimentant, en lui donnant mission ? Oui, il ne peut s'épanouir que dans la liberté; Mais si cette liberté est "la glorieuse liberté des enfants de Dieu", si l'artiste est –comme tout chrétien pourrait l'être- un véritable disciple de Jésus-Christ, son expression artistique témoignera de la Vie qu'il a reçue. Alors, que l'artiste soit ce sculpteur du XIe siècle juché en haut d'une église romane qui crée une œuvre que seul verra un photographe acrobate du XXe siècle; qu'il soit ce compositeur au nom oublié mais dont on chante et joue l'œuvre pendant des générations; qu'il soit ce peintre dont une couleur de la toile résonne curieusement en moi et me parle. Bref, qu'il soit devant le peuple chrétien à témoigner au monde, dedans pour faire grandir l'Eglise ou derrière pour préserver des traces, l'artiste, par son art sera le prophète de son Dieu. Il sera prophète, "porte-parole", comme chaque chrétien doit l'être, et l'art sera alors un merveilleux reflet de l'Espérance que nous accueillons sans cesse et qui se renouvelle sans cesse.    Alain Combes