Lire silencieusement et lire à voix haute Quand je lis
silencieusement, je m'entends lire de l'intérieur, si peu, si loin que je n'en
prends plus conscience. Est-ce vraiment une voix ? Pourtant… Quand je lis à voix haute,
je m'entends lire de l'intérieur et de l'extérieur. De "l'extérieur",
on le comprend : mes oreilles perçoivent les sons qui sortent de ma bouche. Mais de
"l'intérieur" ? Oui, c'est toute ma boîte crânienne qui vibre, qui me
donne une écoute interne "par voie osseuse". Une voix que je connais,
mais qui est différente de celle que j'entends quand je m'écoute dans un
enregistrement. De là, la difficulté à accepter ou à aimer sa voix enregistrée. Mais d'une certaine manière,
dans la lecture personnelle, je pense ce que je lis, et je me pense, confronté
que je suis avec mon être intérieur, mes secrets, mes non-dits. Quand on lit à voix haute
près de moi, j'écoute non plus ma voix, mais une voix étrangère. Ce ne sont pas seulement des sons
"habités" par un autre. La voix a une "épaisseur", une
chaleur, une richesse harmonique qui personnalise ce qui est lu. Mais aussi le
débit, les pauses, les variations de hauteur, de vitesse disent un peu de l'autre.
La personnalité de celui qui parle ne peut disparaître derrière les mots. Le mouvement de la parole
orale accompagne, porte, suit le mouvement de la pensée déjà présent dans le
texte. Ce mouvement se construit avec la syntaxe (les mots et leur
organisation) et avec les événements divers sonores ou non (accentuation,
intonations, ponctuation orale, vitesse de débit, pauses etc.). Le mouvement de
la parole orale est en quelque sorte le "rythme du sens" de ce texte. Le sens n'est pas quelque
chose de figé qui serait totalement et parfaitement présent dans le texte
imprimé. Il n'est pas constitué de "couches" juxtaposées que seraient
les mots assemblés et que le lecteur découvrirait au fur et à mesure de sa
lecture. Le sens est un mouvement continu, un dialogue entre le texte imprimé,
la pensée de l'auteur qui l'a écrit et le lecteur qui le lit. Alors, voilà que la lecture
que j'entends est celle d'un être humain, d'un "prochain" qui m'offre
sa découverte d'un texte, sa sensibilité à ce texte. Si je connais déjà ce texte,
je vais le redécouvrir un peu différent, le découvrir "autre". Ma
connaissance a toujours besoin d'être déstabilisée, pour s'enrichir, pour
creuser ses assises. Ainsi, le dialogue qu'il établit avec le texte, le lecteur
me le rend accessible, et m'ouvre à une nouvelle découverte. Nous sommes donc
dans une dimension de partage. Que ferais-je ? Cette
lecture que je reçois avec mes oreilles, je dois l'accueillir. Je dois
accueillir le texte et accueillir aussi celui qui me l'apporte par sa lecture. Dans le cadre d'une lecture
devant un auditoire ou un groupe, j'accepte aussi que d'autres l'entende en
même temps, que d'autres réagissent différemment de moi, qu'ils se posent
d'autres questions, qu'ils le reçoive autrement. On peut dire qu'en écoutant,
j'accepte de ne plus être seul, de ne plus penser seul, j'accepte d'envisager
un partage commun dans la pluralité des "receveurs". Alain Combes |