L'année 1988

 

De Janvier à Août 1988.

 

Les métiers annexes

Quel auteur dramatique ou metteur en scène ou comédien choisit cette voie "artistique" pour exercer dix autres métiers en parallèle ? Et pourtant, pour deux heures sur scène il y a des jours et des jours de travail administratif, de tracasseries paperassières, de soucis techniques. Dans les équipes artisanales comme la nôtre, on se fait aussi commercial, manœuvre et, selon les circonstances on pratique une foule d'autres métiers de la couture à la décoration, de l'électricité à la menuiserie. Le plus pénible n'est pas de faire ces choses, mais de n'avoir pas toutes les compétences, donc d'être toujours une sorte de bricoleur plus ou moins malhabile.

Par exemple, pour nous la prospection n'est pas facile, Alain Portenseigne doit faire beaucoup de trajets en voiture et passer un long temps au téléphone. Il faut louer les théâtres en nous engageant financièrement nous même, mais plus souvent en trouvant des associations locales qui nous permettent d'obtenir le théâtre pour un tarif de faveur. Il faut convaincre les responsables chrétiens de faire circuler l'information. Le "terrain" n'est pas préparé à ce genre de travail, de plus, les Eglises dont nous attendons qu'elles servent de relais sont souvent méfiantes. Après la représentation, on entend des regrets : «Si nous avions su que c'était si bien, nous aurions fait de l'information !». Ainsi, en Janvier à Perpignan nous n'avons que 120 spectateurs. Les responsables viennent voir, mais parfois n'informent pas autour d'eux. Ce soir là, l'évêque vient nous saluer, il restera jusqu'à sa mort un fidèle adhérent de notre association. A Carcassonne il y a un peu plus de monde, mais c'est encore pauvre. Après Carmaux et Albi en février nous avons un mois de mars assez copieux : Millau, Mont de Marsan au théâtre municipal, Gaillac avec une version écourtée, Narbonne avec une salle très dégarnie, Moissac par contre, avec une salle pleine et Périgueux un théâtre moyennement plein. A chaque fois, le montage nous prend la journée. Il faut donc être sur place dès le matin pour installer notre système pourtant très simple, régler l'éclairage avec les régisseurs du lieu, sortir les costumes, repasser, s'adapter à la scène, installer le système de diffusion de la musique. Au bout de tout cela : la représentation. L'équipe tient le choc, même si les conditions de vie sont souvent rustiques. Nous sommes portés par la volonté de témoigner. Les  journées font souvent 17 heures, avec des retours à deux ou trois heures du matin. Chanter des cantiques dans la voiture est le seul moyen de ne pas s'endormir au volant !

En Avril, nous jouons à Castelnaudary, Albi encore puis Poitiers. Dans cette belle ville, les organisateurs sont inquiets, stressés, ils ont le trac de la salle vide. Pourtant la préparation a été bonne, les relations inter-ecclésiales cordiales. Le soir, c'est la surprise, le résultat les réconforte largement : Il y a 500 personnes dans le théâtre municipal. Les réactions sont excellentes. Là aussi, l'évêque sera fidèle à notre travail pendant les années qui suivront. Rencontrés également au cours de ces représentations, de nombreux pasteurs des différentes églises de sensibilité protestante deviendront des amis.

 

L'art de la mise en scène

Après une représentation à Mazamet en mai, nous partons, Marion et moi pour la Pentecôte en Suisse. Nous animons un stage à la demande d'un groupe de comédiens amateurs chrétiens sur le thème de la mise en scène. Il fait beau. Nous en profitons peu, puisque nous sommes enfermés toute la journée. Je présente des grilles de réflexion pour alimenter l'élaboration d'une mise en scène. La démarche est un peu intellectuelle, mais elle me semble nécessaire pour "classer" ce que l'on va dire par le jeu, le décor, la musique, l'éclairage… Aborder le texte biblique en vue d'une présentation scénique, c'est s'attacher à l'histoire rapportée en repérant la succession des sujets abordés par le texte, les réactions des personnages, les événements, lieux, phases de l'action. Ensuite on se rend compte qu'il y a plusieurs façon d'exprimer ce que porte le texte, plusieurs "niveaux d'expression" en quelque sorte : l'anecdotique, la dimension psychologique, le message, la source déterminante etc. Nous mettons tout cela en pratique avec le groupe. Il y a quelques bons moments avec plusieurs parmi eux qui deviendront des amis.

 

Un quotidien seuls ou accompagnés

Au retour chez nous, une parenthèse : je travaille avec deux instituteurs et l'Ecole de Musique d'Albi sur un projet de spectacle-concert "L'enfant musique". Il faut faire bouger une quarantaine d'enfants, créer une petite chorégraphie, répéter avec l'orchestre. Cela ne prend que quelques jours. Pour "Marc l'Evangile", avec l'équipe, nous jouons à Castres, Villefranche de Rouergue et Figeac. Salles moyennes et parfois mal équipées. Certains théâtres gardent des éléments de décor et des affiches du début du XXe siècle. La trace de ces milliers d'artistes anonymes est émouvante. Mais nous ne sommes pas là pour visiter, il faut jouer, et devant un public difficile à faire venir. Nous avons des difficultés pour informer. Ce travail prend beaucoup de temps et parfois personne sur place n'est assez motivé pour nous aider. Parfois j'imagine que quelques chrétiens seront là, présence encourageante, témoignage d'une complicité, d'une fraternité dans l'annonce de l'Evangile . Mais dans plusieurs villes c'est la solitude : nous montons notre matériel seuls, mangeons seuls. Nous faisons venir une amie d'Albi pour tenir la caisse, et là seulement arrivent les premiers "indigènes". Cela dit, le nombre de spectateurs est honorable, même s'il est insuffisant pour notre survie. Il faudrait assurer notre réputation : quand le public a bien réagi, peut être sera t-il encore plus motivé l'année suivante ?

 

Le prochain spectacle

Je travaille donc sur la suite : un nouveau spectacle pour la rentrée. Nous pourrions ainsi avoir deux spectacles différents et de cette façon, jouer de nouveau là où nous sommes déjà passés, tout en continuant à présenter l'Evangile de Marc dans de nouvelles villes. Il me semble que le thème de "l'Eglise qui avance" peut être intéressant. Je me penche sur le livre des "Actes des apôtres", je planche sur les textes, les enjeux, les climats. Je choisis des "moments" du livre, travaille attentivement le texte, mot par mot. Je conçois avec Marion une sorte de "synopse" des Actes des Apôtres, avec les contextes, les cartes, les passages parallèles dans le reste de la Bible. Près d'une centaine de pages de collages. Ensuite je prépare minutieusement la mise en scène, en déterminant tous les déplacements en fonction de lieux-type où nous sommes susceptibles de jouer. Leur contraintes techniques et acoustiques sont à prendre en compte. Problèmes de profondeur : on ne peut pas parler à voix moyenne au fond d'une cage de scène, la voix et le jeu seront différents au fond ou à l'avant-scène. Problème de largeur : selon la distance en "ouverture", un mouvement côté jardin n'est pas visible si les spectateurs sont en train d'en regarder côté cour. Je fais une petite maquette et nous simulons les déplacements des personnages en déplaçant des pions. Comme il y a des changements de costumes, il faut prévoir où seront les costumes, puis si un personnage sort d'un côté et revient, il doit revenir du même côté. Tous ces détails doivent être prévus minutieusement pour ne pas allonger le temps de répétition. Nous devons être prêts à la rentrée.

 

Voici un exemple du travail sur une seule scène des "Actes". Lisons d'abord le texte tel qu'il est dans le livret que nous publions :

 

LA DELIVRANCE DE PIERRE

 

(Un gardien arpente l'espace scénique très largement)

 

 UN CONTEUR (A) :

A cette époque le roi Hérode entreprit de maltraiter  quelques-uns des membres de l'église de Jérusalem. Il  fit tuer Jacques, le frère de Jean. Puis, comme cela  soulevait la satisfaction...

 

(Une femme entre, affolée.)

 

UNE CHRETIENNE (D) :

Myriam ! (Elle court vers elle.) Myriam, Hérode a fait arrêter Pierre ! Il est en prison, gardé par quatre escouades de  quatre gardes.

 

(Elles vont s'asseoir dans un coin, repliées sur  elles-mêmes.)

 

(La nuit qui précède le jour où Hérode  va faire  juger Pierre en public, Pierre dort entre deux  soldats. Il est lié avec deux chaînes. Soudain un  ange du Seigneur apparait... L'ange n'est pas  visible. Les phrases entre crochets ne sont pas dites  mais Pierre les entend.)

 

[ Pierre ! ] (Pierre sursaute, il regarde autour de lui.) [ Pierre ! ] (Pierre voit l'ange dans le public.) [ Lève-toi vite ! ] (Pierre se lève lentement, étonné que ses mains  soient libres, il a l'air empoté.) [ Mets ta ceinture et tes sandales. ] (Hébété, il s'affaire lentement et s'arrête.) [ Mets ton manteau et suis-moi. ] (Pierre prend sa cape).

 

 (Pierre est sorti de la prison,il erre dans les rues  de la ville, il pense avoir eu une vision. Peu à peu  il prend conscience de ce qui lui est arrivé.)

 

PIERRE (B) :

Oui, c'est sûr...Je comprends maintenant...J'ai passé  la porte du cachot, la première et la deuxième  garde...Je suis dans la ville...C'est sûr...Je vois  que le Seigneur m'a envoyé son ange et qu'il m'a  délivré de la main d'Hérode et de tout ce que nos  ennemis attendaient.

 

(Il s'arrête. Il se trouve devant la porte de la  maison de Marie, la mère de Marc. Des  chrétiens y   sont réunis et prient. Pierre frappe. Une femme se  lève et va lentement vers la porte.)

 

PIERRE (B) :

C'est moi : Pierre !

 

 RHODE (D) :

Pierre ?

 

PIERRE (B) :

Oui : Pierre !

 

RHODE (D) :(face public, joyeuse : ) C'est Pierre : je reconnais sa voix ! (à Marie :) C'est Pierre j'en suis sûre !

 

MARIE (C) :

Tu es folle !

 

RHODE (D) :

Je te dis qu'il est là !

 

MARIE (C) :

Où ça ?

 

RHODE (D) :

Là, devant la porte.

 

MARIE (C) :

Tu es sûre ?

 

RHODE (D) :

J'ai reconnu sa voix !

 

MARIE (C) :

C'est son ange  ça ne peut pas être lui...

 

(Elle insiste du regard.)

 

MARIE (C) :

Hé, bien, ouvre-lui !

 

RHODE (D) :

Ah oui, j'avais oublié...(Elle retourne ouvrir.)

 

(Pierre entre.)

 

PIERRE (B) :

Vous êtes étonnées de me voir...et moi aussi j'ai été  étonné...

 

MARIE (C) :

Comment es-tu sorti ?

 

PIERRE (B) :

Je dormais dans le cachot quand j'ai vu un  homme...comme un ange. Ou un ange...

 

RHODE (D) :

...comme un homme.

 

PIERRE (B) :

Il m'a dit : "Lève-toi vite, mets ta ceinture et tes  sandales, mets ton manteau et suis-moi..." et sans  savoir comment, je me suis retrouvé dehors.

 

MARIE (C) :

Malgré les gardes ?

 

PIERRE (B) :

Malgré les quatre escouades de quatre gardes !

 

RHODE (D) :

Notre Dieu est plus puissant que l'ennemi !

 

MARIE (C) :

Notre Dieu libère !

 

RHODE (D) :

Dieu a libéré Pierre !

 

(Musique.)

 LES DEPLACEMENTS

Les déplacements exprimeront en particulier le passage d'une certaine apathie à l'étonnement. 1) D'abord l'étonnement de Pierre dans ses déplacements : Dès le début il est étriqué et obligé à des gestes lents à cause des chaînes (non visibles), puis, quand l'ange le libère il se meut librement et largement. 

2) L'étonnement dans la maison de Marie : Rhode allant à la porte,  où les disciples se déplaçant dans la pièce le font à petits pas serrés et avec des mouvements étroits jusqu'au moment où ils comprennent que Pierre est vraiment libre. Alors, d'un coup gestes et déplacements deviennent amples.

Les déplacements disent donc l'évolu­tion de l'apathie (ou de la peur) à l'étonnement avec une leçon supplémentaire : "Quand on voit la puissance de Dieu on devient large, libre, on n'est plus effrayé ni coincé".

 

JEU/TEXTE PRINCIPAL

Le petit dialogue du départ donne l'information d'une manière brève et nous permet de nous concentrer ensuite sur ce que vivent les différents personnages.

Puis, le jeu exprime comme les déplacements la répercussion psychologique des événements : passage de dialogues "un peu mous" avant l'entrée de Pierre à "vifs" ensuite. Les répliques deviennent plus courtes au moment de l'étonnement.

 

L'ESPACE

Exprime le discours, le message ("Dieu plus puissant que l'ennemi") de la façon suivante : Pour montrer "dans l'espace" le passage de "l'ennemi puissant" à "Dieu puissant" on aura, au début le plateau presque entièrement occupé par la prison (le simple fait qu'un gardien arpente cette espace permet de voir qu'il s'agit de la prison. Aucun décor n'est nécessaire). Un tout petit espace (par exemple au bord du plateau près du public) sera la maison de Marie où tous les disciples sont rassemblés. Le trajet effectué par Pierre et représentant sa sortie de prison transformera l'espace "prison" en espace libre et la maison de Marie (marquée par le trajet de Rhode allant ouvrir) occupera progressivement tout l'espace (mais par étapes, car Rhode va au moins deux fois écouter qui frappe. Ainsi, on peut la voir faire des trajets de plus en plus long). On doit en tirer que l'action de Dieu a effacé "l'espace prison" et donné place à "l'espace joie".

 

L'ECLAIRAGE

L'éclairage exprime aussi le message en passant simplement de "très sombre" ou début à "très clair" progressivement.

 

LE SON

Le son exprime également aussi le message par un rythme marqué par les pas du gardien au début puis, après une pause, l'arrivée (non visible) de l'ange qui est accom­pagnée de sons étranges (diffusés par enregistrement) qui deviennent de plus en plus harmoniques, sereins. Il n'y a plus de musique dès l'entrée de Pierre dans la maison de Marie.

 

LE DECOR

Le décor exprime le message source : "Dieu Libère" et il n'y a sur le plateau aucun autre élément de décor qu'une échelle double posée en arrière plan et un peu de profil à côté de Pierre couché. Pierre fera son trajet de sortie en commençant par passer sur l'échelle, puis après un circuit sur le plateau (au fond) trouvera la porte de la maison de Marie sous l'échelle. Ici. l'échelle, comme celle de Jacob est une sortie et une entrée.

 

LES COSTUMES

Les costumes disent aussi le message source "Dieu libère" dans le passage prison-libération exprimé par le groupe de disciples serrés frileusement dans le petit espace de la maison de Marie, couverts de manteaux comme "formant un cocon". On pressent bien entendu leur crainte devant les événements cruels. A l'entrée de Pierre chacun va se libérer de ces tissus dont ILS AVAIENT BESOIN POUR SE COUVRIR (se protéger ?) cela se fera dans le mouvement, comme quelque chose de naturel.

 

JEU/ TEXTE PRINCIPAL

A la fin, le jeu exprime bien sûr le message source, au moment où les disciples descendent dans la salle en confiant à tous : "Dieu libère"

 

" LA CHOSE "

La chose, l'objet "concept" sera l'échelle. qui comme celle de Jacob donne accès aux anges. montre la communication entre les situations : ciel/terre. prison/liberté etc.

 

Toute cette démarche de réflexion nourrit ainsi les différents éléments de la mise en scène, de telle façon que la richesse de sens du récit ne reste pas une anecdote, aussi extraordinaire soit-elle.

 

Le Printemps studieux…

Depuis janvier, Marion a commencé le grec biblique, moi l'hébreu. Nous passons beaucoup de notre temps libre à étudier. Je fais parfois six heures d'hébreu par jour, une vraie passion ! Malheureusement, si Marion a trouvé un professeur, moi, je dois me contenter d'étudier dans les livres, étudiant orphelin de "maître", mais assidu. Je m'invente des exercices, me fait des tableaux, des petits jeux, bref une pédagogie adaptée à mon peu de talent des langues.

 

Des festivals

L'été venant, c'est le temps des festivals, nous jouons à Chalons s/ Saône devant 1500 personnes, mais les conditions d'accueil sont pénibles. Il faut aller se coucher juste après la représentation à cause d'une histoire de clé, il faut quitter l'hébergement dès 7h du matin pour la même raison. Nous trouvons une petite chambre d'hôtel en face de la gare, chambre miteuse mais ouverte nuit et jour. Nous repartons. Dans le cadre d'un festival, à Paray le Monial, nous logeons dans un château, chez des châtelains pour qui nous garderons toujours une belle amitié.  La journée, nous sommes un peu oubliés par la structure d'accueil du festival, au point que les repas prévus sont quasiment inexistants. Je vais directement dans les cuisines pour demander un passe-droit. En général, nous ne savons pas bien nous imposer et réclamer la dignité minimale de ceux qui travaillent. Nous ne cherchons pas "à jouer de l'apparence", alors on nous traite parfois "légèrement". Après un autre festival dans la Drôme , nous allons à Gagnières puis au retour, à Camarès. Pendant cette tournée de Juillet nous auront des publics de 30 à 1500 personnes et des scènes de toutes dimensions, de quatre à quinze mètres d'ouverture. L'adaptabilité est excellente, mais elle a des conséquences parfois sur notre jeu ou notre moral. Nous passons du statut de "petites vedettes" au statut de "gentille troupe" qu'on oublie d'annoncer.

Les choses ne sont pas toujours médiocres : en août, une tournée en Auvergne nous permet de jouer dans une série d'églises dont certaines superbes : Arlanc, Pontaumur, Orcival, Chatelguyon. Le journal local qui a organisé cette tournée nous soutient, en arrivant à déplacer des spectateurs. Les responsables nous accompagnent à chaque représentation. Pour le coup, nous nous sentons "portés".

 

De Septembre à Décembre 1988.

 

Préparation de "Actes"

Depuis la mi-août nous nous consacrons aux répétitions du nouveau spectacle "Actes". Nous avons la possibilité de travailler dans une salle qui nous est prêtée pour toute la durée des répétitions, ce qui est particulièrement confortable. La scène "type" est délimitée sur le sol, les panneaux de fond sont en place. Nous pouvons choisir nos horaires et répéter autant de temps que nous voulons.

Comme l'année dernière, il faut concevoir l'information et lancer la publicité. L'engagement financier est lourd pour nous : l'imprimerie pour les affiches, les documents pour les organisateurs et la presse, les livrets pour les spectateurs. Le travail est multiple, et dans des domaines techniquement très différents. Nous ne sommes pas trop de cinq pour tout cela. Voici un petit compte rendu :

 

"Actes" ou "La naissance du Christianisme d'après les Actes des Apôtres"

 

La préparation dura six mois et le spectacle fut créé en octobre 88. Nous n'avions pas l'intention de représenter la totalité du livre des Actes, et nous pouvions ainsi faire le choix d'un certain nombre de "moments clefs".

 

En utilisant délibérément la totalité de la profondeur des cages de scènes des théâtres, nous avons conçu chaque scène sur plusieurs plans en profondeur, c'est-à-dire qu'on pouvait voir, par exemple, des événements en premier plan s'enchaîner à des événements joués en dernier plan. Ainsi, on passait d'un "moment" à un autre par un fondu enchaîné en profondeur.

Par ce jeu, le spectateur participait à l'action à des niveaux successifs différents :

 

- il était observateur parmi la foule, d'un événement se produisant au loin (devant la "Belle porte" du Temple pour la guérison du boiteux : Actes 3),

- il était un des apôtres jugé par le sanhédrin, face à ses juges (Actes 5/17-40),

- il était en même temps avec les chrétiens en prière dans la maison de Marie mère de Marc et présent dans la cellule de Pierre (Actes 12/1-17).

 

Ces "cadrages" différents correspondaient autant à des distances dans l'espace qu'à des distances dans notre "proximité sensible" avec les événements. De cette manière, le spectateur pouvait, dans une certaine mesure, être acteur du récit.

 

Des outils pour des objectifs

 

L'expérience de "Marc : L'Evangile " illustre bien notre objectif principal : "rendre présent le texte biblique", alors que "Actes" rendait présents des événements contenus dans le texte plutôt que le texte lui-même.  Les deux expériences sont complémentaires.

 

Le travail de mise en scène est ici particulier, il implique un jeu d'acteur qui s'épanouit dans l'essentiel, une chorégraphie qui soit une exégèse limpide et fondue au vécu.

La préparation passe par une longue étude du texte et de toutes ses incidences : «Ce personnage dit cette phrase, pourquoi ? Celui-ci s'en va, pourquoi ? Que signifie ce passage, comment l'a-t-on interprété au cours des siècles ?» etc. Le recours au texte grec et à plus de vingt versions françaises nous a été précieux.

 

Comme pour "Marc", la première a lieu au théâtre municipal d'Albi. Nous avons un peu moins de monde que l'année dernière, mais c'est très correct. Les réactions sont bonnes. Nous jouons ensuite dans la grande salle de spectacles de Gaillac avec une acoustique difficile, puis à Carmaux. Une reprise également de la version courte de Marc à Septfonds, mais la salle est vraiment petite.

Notre comédienne, Sandra, aimerait entamer des études de théologie, toute l'équipe est d'accord pour la soutenir financièrement pendant ces études. Nos ressources sont mises dans un pot commun, mais appartiennent à tous et à chacun. Curieusement, ce soutien peu à peu lui semble insupportable à envisager. Comment faire pour nous montrer solidaires sans toucher son amour propre ? Par ailleurs, elle a du mal dans l'interprétation, son jeu de comédienne n'est pas souple. Je cherche des moyens de l'aider à s'améliorer, mais je n'y arrive pas.

Nous jouons ensuite à Mazamet, à St Sulpice, puis à Montauban devant 450 jeunes. Dans cette dernière ville, nous avons fait précéder la représentation de deux jours d'animation dans les classes d'un établissement privé. Avec Marion nous avons parlé de la Bible , questionné les jeunes, répondu à leur curiosité sur nous, notre métier, notre vécu de foi etc. Même chose à Rodez. Tous les deux, nous sommes souvent "secoués" par ces confrontations, non pas que les jeunes soient agressifs, mais surtout qu'ils sont totalement ignorants de tout message religieux. Jésus, est pour beaucoup un inconnu total. L'avenir matériel leur semblent la seule chose intéressante. Comment peut-on être croyant aujourd'hui ? La plupart de ces jeunes pensent que les chrétiens n'existent quasiment plus. Marion et moi, "extra terrestres", nous avançons, surpris, sur ce terrain vierge. Il y a beaucoup à apprendre et l'expérience est passionnante. L'année se termine sur cette 38e représentation de l'année.