JOURNAL
de bord d'Alain Combes Dire
les choses, simplement, comme dans un journal de bord… Égrener les événements
petits ou grands de notre travail sans chercher à cacher les tristesses, les
aigreurs, les échecs. Découvrir peut être ainsi qu'un itinéraire chrétien
n'est pas une allée pavée de roses, et que sa cohérence ne se découvre qu'en
prenant du recul. Et
puis, mesurer le temps, fait d'un quotidien répétitif parfois, de fatigues, de
surprises. Mesurer le temps parce que la vie n'est pas du cinéma : on y vit les
moments banals autant que les moments forts. L'année
1986 A
l'écoute… Pentecôte
1986. Je relis l'Evangile. Non pas comme un roman, mais comme un livre qui
cherche à dire quelque chose. Quelque chose sur Dieu ? Quelque chose sur moi ?
Pour entendre ce "quelque chose", je suppose qu'il ne faut pas être
trop lourd d'a priori, qu'il ne faut pas projeter notre critique de "la
religion" ou de "l'histoire religieuse". Je suppose qu'il faut être
calme des colères du passé, des morales, injonctions, prétentions. Alors,
j'essaie de me faire l'oreille attentive, de trouver le fil de ce message de
"base", de ce message "d'origine" qui a fait la révolution
dans tant de vies au cours des siècles. N'ayant pas de compte à régler avec
une éducation oppressante ou un catéchisme tyrannique, je ne regarde pas à la
piété factice ou aux hypocrisies, je me dis qu'il y a bien un "feu"
avant cette fumée. Alors, je lis. Je
prends du temps, chaque jour je m'aiguise l'appétit de comprendre, je titille
ma curiosité… Et peu à peu, ce ne sont pas des réponses qui surgissent,
mais d'abord des questions. Surtout, ce ne sont pas les "remèdes" qui
se dévoilent, mais c'est la personne de Jésus qui se fait plus "concrète".
Le message qui apparaît n'est pas un discours philosophique mais une
proclamation, sans tapage et sans arrogance. Cette proclamation est plutôt une
proposition. Je me sens interpellé, provoqué. Moins par des idées que par du
"vivant"", du "réel". Les images défilent dans mon
imagination, l'Evangile est comme un film dont je serais acteur. Je suis dans la
foule à écouter cet homme aux paroles rudes et bouleversantes, je suis dans la
barque avec les disciples à le regarder vivre au quotidien, à l'entendre
s'adresser aux lépreux, à voir ses réactions quand il est arrêté par les
soldats, à surprendre ses douleurs silencieuses, ses joies, ses rires, ses
regards… Je
repose le livre. Suis-je vraiment "à l'intérieur" de cette histoire
? D'une certaine façon, oui : Je comprends que si Je
repense à ma vie. Regard
en arrière Acteur,
je le suis, et bien concrètement et professionnellement. Acteur de dizaines de
pièces de théâtre, et depuis l'année 1967. Je
revois mes débuts, à Paris, ma rencontre avec mon ami Olivier Proust, le théâtre
provocateur de 1968, nos sketches et nos poèmes dans les restaurants, dans la
rue, dans les maisons des jeunes. Deux ans à découvrir la joie de dire et de
jouer, et aussi à nous découvrir. En
1970 et 71 je suis à Madagascar à former des animateurs culturels, à produire
des émissions à Radio Madagascar. Au retour, je reprends avec Olivier nos créations.
Nous écrivons ensemble des pièces hilarantes et échevelées –C'est le temps
du café-théâtre- nous travaillons sur des scènes de toutes tailles, depuis
les minuscules cabarets "rive-gauche" jusqu'aux scènes des théâtres
parisiens et d'ailleurs. Je monte plusieurs "One-man-show" d'humour
que je jouerai plus de dix ans. Parallèlement, pendant ces années, avec
Olivier Proust, nous jouons et écrivons également des dizaines de pièces avec
des succès variables. Nous créons des spectacles pour les festivals d'été,
"piochons" dans les répertoires médiévaux, classiques et
contemporains, inventons des styles, des concepts, des événements. Nous
animons des villes anciennes, concevons des parcours musicaux et théâtraux… C'est
le temps fiévreux des rencontres passionnantes, des compagnonnages avec des
musiciens, des chanteurs, des peintres et des sculpteurs. Certains amis
deviendront vedettes, d'autres vireront de bord, d'autres s'embourberont… En
tout cas, avec Olivier Proust, l'amitié est fraternelle et débordante d'idées
et de réalisation. Nous ne vivons pas en enfants de chœur, nous plongeons dans
les expériences bonnes ou mauvaises sans trop réfléchir, mais avec une sorte
de code d'honneur à nous. Malgré
cela, en 1977, après dix ans d'aventure, sur le coup de tête d'une période un
peu grise, je brise en partie notre collaboration : je pars m'installer à Aix
en Provence. J'écris encore des spectacles, mais seul cette fois. Je monte une
école de théâtre et deviens animateur à FR 3 à Marseille. J'anime et conçois
des émissions pour la radio régionale pendant 4 ans. Et
puis un jour, au milieu de ce foisonnement d'activités, entre une représentation
et un cours de théâtre, une interview et un reportage…je rencontre Marion.
Il
va s'agir d'amour, bien sûr, mais
aussi de compagnonnage. Dès le début nous mettons les mains dans l'action :
elle est sur scène, dans les coulisses, dans le bureau. Nous sommes deux
aventuriers complices. La
fête de mariage, en Un
an plus tard, nous décidons de construire notre existence à nous, hors des
chemins que j'ai arpentés de long en large. Nous quittons Aix et choisissons
Albi… sur Le
reste de l'équipe, Alain et Cathy Portenseigne ainsi que Sandra une jeune comédienne
débutante, une ancienne de mes élèves, viennent nous rejoindre dans l'été
1985. Et
je repars à "presque zéro" dans un pays inconnu. Nous n'avons pas de
repères, pas d'amitiés. Il faut tout construire. Nous jouons d'abord une
adaptation de "l'Ingénu" d'après Voltaire que j'ai écrite quatre
ans auparavant, ainsi qu'un spectacle à partir de mes sketches : "Une vie
à mourir de rire" qui reçoit partout un franc succès. Nous faisons, au début,
plusieurs allers-retours en Provence où des représentations peuvent encore
avoir lieu dans notre ex-théâtre ou dans la région sud-est. Je tourne également
quelques court-métrages et quelques films publicitaires pour clore une
collaboration de plus de cent petites productions filmiques avec des amis.
J'abandonne aussi la présidence de l'Office du Temps Libre à Aix et la présidence
de la Maison des Jeunes. Bref, peu à peu les ponts se coupent derrière nous. A
la fin de l'été, dans la jolie petite ville médiévale de Cordes je fais un
stage de musique électro-acoustique avec l'I.N.A. , en vue de concevoir des
"atmosphères sonores" dans nos prochains spectacles. Et
voilà l'automne Pour
prévoir la deuxième année scolaire dans la région, j'écris un nouveau
spectacle "Le diamant bleu d'Hernani" à destination des collèges et
lycées, ainsi que "Le donjon des compères" que Marion et Sandra
joueront en duo. Bref, tous nos spectacles seront joués 72 fois en 1986. Le
bout d'un chemin ? Voilà
pour le passé. Et maintenant ? Pendant cette Pentecôte 1986, je me crois au
bout d'une aventure. Le moteur de la renommée s'est essoufflé, je suis
redevenu le comédien tâcheron de mes débuts. Un peu fatigué de sans cesse
tout reprendre au commencement. Je ne me sens pas humilié de porter les câbles,
d'installer la sonorisation et l'éclairage, l'artiste est toujours artisan.
Mais je n'ai plus de perspective. Je
reprends le livre. Je lis encore. La Bible est un univers riche et complexe, et
également un lieu de dialogue. Cette Parole qui me provoque, je la mesure, la
soupèse, la confronte à mes convictions. Elle me murmure un chemin nouveau,
une aventure nouvelle…mais une aventure si curieuse, si étonnante par rapport
aux valeurs sur lesquelles j'ai construit ma vie jusqu'à maintenant ! Pourtant,
il y a cette présence énigmatique, ce Dieu à chercher, à découvrir… en se
découvrant. Choisis
la vie… Quelques
jours passent, et, sans bien m'en rendre compte, je dis "oui" à
l'aventure qui me semble être devant moi. Dans
notre couple, nous en parlons. Chose étonnante, Marion, dans la même période
à fait le même chemin, ou plutôt arrive au même point par un autre chemin.
Tout pour elle est découverte : elle n'a eu aucune éducation religieuse, elle
a vécu sa jeunesse à l'écart des Eglises et de tout discours croyant.
Maintenant, une joie débordante nous habite, mais pas une joie fiévreuse : un
enthousiasme paisible, comme si la vie jaillissait en nous. L'expérience est
surprenante, bouleversante, incroyable au point que nous n'arrivons pas bien à
en parler autour de nous. Que
faire, maintenant avec cette foi tout neuve ? L'aventure ne sera-t-elle qu'intérieure
ou rebondira-t-elle sur notre vie et notre travail ? L'été
s'achève. Et voilà, qu'au cours des réunions de l'automne, nous découvrons
que chacun des autres membres de l'équipe a vécu le même bouleversement !
Comment est-ce possible ? Nous n'avons pas parlé de cela entre nous, et nous ne
fréquentons ni église, ni chrétien ! Nous avons fréquenté seulement ce
livre, cette Bible, sans se le dire vraiment. Chacun s'en est approché, seul,
par curiosité intellectuelle ou…? Nous
ne sommes pas dans un état d'excitation, nous restons prudents, méfiants même
par rapport aux choix à faire. Et pourquoi y aurait-il des choix ? Beaucoup de
gens pensent que la foi est du domaine du privé. Pour eux, la foi, ce sont des
convictions plus ou moins secrètes, plus ou moins claires qui influent ou
n'influent pas sur nos comportements. Pourquoi ne pas en rester là, nous aussi
? Réunis
plusieurs fois par semaine, nous posons toutes les questions : sur l'Eglise, la
prière, la morale, l'existence. C'est dans la Bible que nous cherchons les réponses.
Nous ne connaissons pas d'autre interlocuteur pour l'instant. Marion passe des
heures à lire, à s'imprégner du texte, les autres aussi, avec curiosité mais
aussi avec le désir de pousser le texte dans ses retranchements. Certains de
nous commencent à rôder dans les églises, à participer à des études
bibliques. Quelques semaines passent, avec chaque jour des expériences
nouvelles et des rencontres. Marion avance avec détermination, elle demande le
baptême. C'est une belle journée d'octobre, des gens de différentes églises
sont venus dans ce grand jardin d'un presbytère. Chacun participe aux chants ou
aux lectures. La famille de Marion découvre sa foi nouvelle avec respect, étonnement
et un peu d'émotion. Fin
novembre, à l'unanimité et dans l'enthousiasme nous décidons de monter
ensemble ce qui est devenu pour nous essentiel à dire : "L'Evangile".
Je propose l'Evangile de Marc sur lequel je travaille depuis quelques semaines. Il
est convenu que durant neuf mois nous étudierons le texte mot à mot, tous
ensemble et séparément, et que nous mettrons en place la structure et l'esprit
de ce nouveau projet. |